Avec Faouzi, c’est bien ce qui
me fait peur !

J’ai tout fait pour dissimuler l’exemplaire du Soir d’Algérie en date de ce mardi. Il ne faut pas que mes enfants tombent dessus, me suis-je dit. Moi-même, l’ayant lu comme tous les jours, j’en frissonne encore, j’ai des sueurs froides et le tube de paracétamol avalé n’y a rien fait. Je suis malade ! Et comment ne pas tomber malade lorsque vous lisez ce témoignage sur trois pages pleines de Mahdi Cherif, ancien secrétaire général de l’Etat-major de l’ANP. L’homme raconte avec force détails la liquidation du colonel Chaabani par ses «frères d’armes». Je sais qu’il n’y a pas de révolution totalement propre. Je sais aussi qu’il peut y avoir des zones d’ombre dans la libération d’une nation. Je sais également grâce à divers témoignages et tout récemment à travers le livre de Saïd Sadi sur Amirouche que des ignominies peuvent être commises par des dirigeants et des personnalités présentées comme irréprochables par l’histoire officielle. Mais là ! Mais là, les limites de l’ignominie ont encore été reculées. Et surtout décrites avec une minutie terrible. J’avoue que je suis partagé. Laisser finalement mon fils de 13 ans lire ce témoignage de Monsieur Cherif Mahdi ou l’extraire à ses yeux. Tellement j’ai la nausée. Tellement je crains que mon gamin n’en conclue à la pourriture généralisée dans les rangs de ceux qui nous ont libérés. Mais j’ai surmonté cette nausée, car mes yeux se sont posés sur un poster sous verre qui a toujours orné le couloir de mon appartement. Une reproduction de la fameuse photo de Larbi Ben M’hidi irradiant ses geôliers d’un sourire immensément beau et fort. J’ai finalement laissé mon enfant lire les péripéties sanglantes de gens qui ont repris la révolution des mains divines de Ben M’hidi, de Abane, de Abbas et qui en ont fait une boucherie, un abattoir des espoirs démocratiques et républicains. Ma progéniture n’en trouvera que plus beau le sourire de Si Larbi. Parce qu’elle aura eu à lire l’extraordinaire violence de ceux qui ont pris la suite, des héritiers incestueux de Novembre, des liquidateurs aux mains armées de fils de fer et tachées de sang. Il est terrible de constater, de vérifier pour ceux qui le savaient déjà mais avaient encore un léger doute que la race des Ben M’hidi a été trahie par l’engeance des manieurs de nœuds de cravates serrés, des lacets de chaussures et des caves humides et oubliées de la gendarmerie. Mon Algérie, mon pays aurait pu avoir la flamboyance des sourires conjugués de Larbi et de Hassiba. Il a dû finalement faire avec le rictus canin des Ahmed et consorts. Lis mon fils, lis ! Lis, car ces derniers ne sont pas l’Algérie. Ils en ont juste confisqué l’histoire et mis une muselière sur des sourires. Lis mon fils, lis. Car demain, je sais tes mains et celles des camarades de ton âge et de ta génération habiles à déchiqueter les muselières et à abattre les murs traîtres des caves-morgues. Lis mon fils, lis. Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue. 
H. L.