L'ordre d'appel !

«Les peuples du Maghreb méritent de décider pour eux-mêmes !» Cette sentence nous la devons à la belle Hillary Clinton, chef de la diplomatie mondiale. Je ne sais ce qu'il en est des autres peuples du Maghreb, madame, mais je puis vous assurer qu'ici, chez nous, en Algérie, c'est légèrement différent. Votre souhait, votre vœu, votre conseil ne peuvent pas vraiment s'appliquer à nous. Pour une raison toute simple. Nous avons eu de tous temps des dirigeants qui ont décidé une bonne fois pour toutes de ne pas nous épuiser, de nous éviter des excès de fatigue, des efforts et des contraintes de choix harassantes. Non ! Chez nous, ici, en Algérie, nos gouvernants ont opté pour notre repos éternel. Les pauvres ont dû suer du paletot et réfléchir vite, très vite pour trouver le moyen de nous offrir ce repos que tant de gens nous envient. Je crois bien que c'est autour de l'année 1965, dans ces eaux-là agitées qu'ils ont finalement trouvé la solution. Elle est géniale ! Géniale de simplicité, et donc hyper-efficace. Ils ont décidé de… décider pour nous ! Eh oui ! Fallait juste y penser ! Pourquoi exténuer son peuple, l'obliger à trouver lui-même sa voie et à choisir le monde et la cité dans laquelle il voulait vivre ? C'est une vision esclavagiste que celle-là. C'est une approche honteusement copiée sur les sociétés qui exploitent la sueur des hommes. Et cela, nos dirigeants chéris ne l'ont pas voulu pour nous. Ils ont préféré faire l'effort eux-mêmes, s'esquinter leur santé si fragile à prendre option à notre place, à arrêter des décisions qui concernent notre vie de tous les jours et à dessiner les contours de notre avenir sans exiger de nous que nous salissions nos doigts délicats sur les feuilles de dessin, avec les pots à peinture, l'encre des stylos ou encore le noir des mines de crayons. Fi de tout cela ! Le régime décide pour nous ! Ce qui fait d'ailleurs de nous le peuple aux ongles les plus nickels du monde, sachant qu'une infime portion seulement, ceux qui se relaient au Palais et dans ses douves obscures, s'occupe de dessiner, de gribouiller des plans de gouvernance pour nous et d'établir des croquis touchant de naïveté cleptomane. Alors, voyez-vous madame Hillary, j'ai une pensée émue aujourd'hui lorsque je vous entends dire ce genre de choses. Une pensée émue pour tous ces autres peuples, dont le vôtre, obligés sous la contrainte démocratique de décider pour eux-mêmes de ce qu'ils vont devenir. Mon Dieu ! Quel enfer ! Quelle vie de chien de devoir, par exemple, aller voter pour décider réellement de quoi sera fait demain. Rien que d'y penser, moi, ça m'épuise ! D'ailleurs, je tiens à vous en donner la primeur, je ne compte pas rester ainsi, sans faire montre de solidarité envers les humains obligés de se décarcasser à réfléchir eux-mêmes et à décider pour eux-mêmes. J'ai ainsi décidé (eh oui, ça m'arrive !) d'organiser une journée de farniente citoyen, d'horizontalité sociale sous la couette pour montrer les bienfaits d'un système qui réfléchit à la place de son peuple. Si ça peut donner des idées, inciter les vôtres à s'en inspirer, j'en serais le plus heureux des hommes. La date de cette journée ? le 10, madame ! Le 10 mai prochain. D'ici là, je fais la seule chose que ce régime ne peut pas encore faire à ma place. Je fume du thé pour rester éveillé à ce cauchemar qui continue.
H. L.