Fin de la visite en Algérie de Moncef Marzouki. Il regagne son
pays.

La question pourrait figurer aux épreuves du baccalauréat. Dans un pays démocratique, bien sûr : à quoi peut bien rêver un dictateur ? Peut-être à des pneus dont la gomme révolutionnaire ne brûlerait pas si des manifestants tentaient d’y mettre le feu. Peut-être aussi à des autoroutes rendues «in-coupables» grâce au génie pervers d’un architecte major de promo et particulièrement fayot. Peut-être aussi à des couffins du Ramadan sans bouffe, mais remplis d’essence, de boîtes d’allumettes et de briquets. Peut-être aussi à une équipe nationale de football qui gagne tous les deux ans la Coupe d’Afrique et tous les quatre ans la Coupe du monde, de préférence au mois de mai, période électorale par excellence. Peut-être aussi à des APC en kits, pouvant être démontées en un rien de temps, à la veille de l’affichage d’une liste de bénéficiaires de logements et «remontables» quelques jours après, lorsque la météo sociale se sera radoucie. Peut-être aussi à un taux de réussite au bac décrété par ordonnance présidentielle et consigné de fait dans la loi de finances et dans sa complémentaire. Peut-être aussi à une opposition politique sans oreilles, sans bouche, sans nez et avec un sens très patriotique du sommeil. Peut-être aussi à des députés dotés de bras très longs, de poches très profondes, de sourires en 3 fois 8 et d’une capacité à regarder ailleurs aussi étonnante que scientifiquement déroutante pour tout ophtalmo n’ayant pas copié à ses examens de fin de cursus. Peut-être aussi à une unique chaîne de télévision diffusant en boucle ses discours et ses prestations de serments à chacune de ses réélections successives. Peut-être aussi à un mandat éternel avec pour seule obligation constitutionnelle de mettre sa déclaration de patrimoine à la disposition de Aâzrayan. Peut-être aussi à une ligne unique de métro dotée de deux stations seulement, son domicile, au départ, et le Palais au terminus. Peut-être aussi à un tramway grande vitesse et grand public desservant exclusivement la banlieue Est de Bordj-Badji-Mokhtar. Peut-être aussi à un pluralisme syndical, le syndicat maison se voyant ainsi renforcé par le syndicat cuisine, le syndicat cagibis, le syndicat WC, le syndicat débarras, le syndicat grenier, le syndicat placard ou encore le syndicat de poche. Peut-être aussi à un Smig fixé à vie, et intronisé solennellement «constante nationale inviolable et immuable». Peut-être aussi à une armée de soldats de plomb, droits dans leurs bottes roses et leurs tutus de parade. Peut-être aussi à une mystérieuse épidémie qui décimerait subitement tout à coup toutes les ligues des droits de l’homme et toutes les ONG chercheuses de poux. Peut-être aussi à une bavure de la Marine nationale qui enverrait par erreur un missile de croisière sur le siège des journaux pas très exemplaires. Et peut-être, enfin, le dictateur pourrait rêver d’un pays entièrement gouverné par SMS. Mais là, on me chuchote à l’oreille que dans certaines contrées, ce rêve est devenu réalité. Comme quoi, il est toujours permis de rêver. Pour les dictateurs, bien sûr. Pour les autres, vous et moi, il nous sera toujours possible de méditer tout cela à bord du tramway. Rappelez-vous, quinze lignes plus haut. Mais si, relisez ! Le tramway de Bordj-Badji-Mokhtar aux heures de pointe ! Je fume du thé et je reste éveillé, le cauchemar continue.
H. L.